Organisée par le DSRA Document & art contemporain (ÉESI Angoulême & Poitiers – ENSA Bourges)
le 15 décembre de 9h30 à 18h aux Beaux-Arts de Paris.
Lors de cette journée d’étude, il a été question de revenir sur quelques pistes de réflexion abordée lors d’une année de travail et de recherche sur la figure du barrage, appréhendé de façon large, sous ses aspects physiques autant que métaphoriques (politiques, philosophiques, psychanalytiques…), aussi bien comme dispositif transformateur du paysage qu’en termes de ses conséquences environnementales souvent dramatiques, le barrage est ici avant tout abordé par le contact, l’expérience, la pratique. Source d’énergie et figure de résistance, mais au prix d’engloutissements (de peuples, d’histoires, de faune et de flore), de rétention (d’eau, de pensée, d’information) et d’inévitables fractures, le barrage empêche, mais également détourne, institue et destitue ; autant il permet l’accumulation de forces, autant il interrompt les flux ; accumulateur d’énergies pour les uns, entrave aux flux différentiels pour les autres, le barrage divise ; il représente à ce titre la capture dans la concrétude bâtie d’une figure de l’agir qu’il nous reste encore à définir. En somme, le barrage reste une construction ambiguë, source de conflits dont les enjeux sont des plus contemporains : l’eau, l’énergie, l’écosystème.
Intervenants :
Louise Deltrieux : « Welcome Home » (projection)
Sur Malcolm Island et Lasqueti Island, en Colombie Britannique (Canada), des habitants ont décidé de vivre « off -the-grid »: déconnectés du réseau électrique. Grant et ses filles Koa et Mia, Jeff et Carley, Jennifer et Ian, produisent eux-mêmes leur énergie avec des panneaux solaires, des éoliennes, des moulins à eau ou un générateur. Tous ont décidé d’exploiter les ressources naturelles de leur environnement pour mieux vivre en harmonie avec la nature et peut-être même, se préserver d’un éventuel effondrement de la civilisation telle que nous la connaissons.
Andreas Maria Fohr : « Kraftwerk »
Energiedreams, une comparaison imaginaire. Le rapport au paysage en tant que rapport au territoire, entre perspective et clôture.
Ferenc Grof : « Écluses, digues et boues rouges – sur le voyage d’étude à Budapest »
Compte-rendu condensé du voyage d’étude à Budapest du mai 2017.
Matteo Locci : « I never thought it was a dam »
Conçu dans les années 1970 à la limite entre la ville et la campagne, le complexe de logements sociaux de Corviale (Rome) – une construction en béton, long d’un kilomètre – peut légitimement être considéré le plus long barrage urbain jamais construit en Italie. Comme beaucoup d’autres implantations périphériques romaines, il était négligé par l’administration pendant de nombreuses années, sévèrement critiqué par ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, et exploité par une classe politique irresponsable. « Notturno Corviale » est le dernier projet collaboratif de Matteo Locci dans le quartier et le premier d’une série d’interventions prévues pour les décennies à venir.
Anna Romanenko : « Operation Chastise »
Operation Chastise était une opération de la Royal Air Force contre un certain nombre de barrages allemands effectués lors d’une nuit de pleine lune en mai 1943. Soigneusement mise en scène, l’opération était censée invoquée l’imaginaire d’un châtiment divin. L’architecture du barrage, ainsi que le vol et la trajectoire de l’engin explosif ont formé une figure maintes fois revisitée. En déployant des méthodes issues des arts de la performance, il s’agira ici de retracer la dimension chorégraphique de cet événement historique et de montrer comment son récit poursuit sa migration dans l’imaginaire collectif.
Asli Seven : « Du diable des comparaisons à la double conscience agitée du chercheur en art»
Entre ce que le barrage, comme coupure au sein d’un territoire, donne à voir et ce qu’il donne à imaginer, apparaît un point d’entrée pour saisir l’espace de l’infrastructure qui produit le paysage physique. A travers un assemblage fait d’expériences de terrain dans les barrages hydroélectriques suisses et autour d’un central nucléaire aux Philippines, en passant par des trajectoires littéraires mêlant fiction et politique, il est question de faire émerger une réflexion sur la double conscience et le rapport particulier à la subjectivité qu’engage la recherche en art.
Elisa Strinna : « The Life Which Has Still To come »
À travers les barrages, les lacs artificiels, les centrales électriques et autres infrastructures, la nature est sans cesse soumise à un travail colossal pour fournir l’énergie nécessaire à l’alimentation de notre vie technologique. À l’inverse, la culture des médias numériques favorise l’idée d’une société de plus en plus fondée sur l’abstraction et la dématérialisation, exacerbant la distance entre le monde naturel et le monde humain. Cherchant une approche diversifiée de la nature, l’intervention mettra en évidence des interconnexions entre le virtuel et le matériel, le géologique et l’humain, l’artificiel et le naturel.
Mabel Tapia : « De quoi l’expression “faire barrage” est-elle le nom aujourd’hui ? »
De la figure physique du barrage à l’expression métaphorique « faire barrage » un déplacement conceptuel s’effectue. Cette expression française trouve difficilement toute sa polysémie dans une transposition dans d’autres langues. Dans le paysage social, compris comme espace agonistique et en continuelle reconfiguration, le « faire barrage » se constitue entre formes de résistances et exercices démesurés du pouvoir. Nous proposons quelques considérations sur les implications actuelles de cette expression à haute puissance métaphorique et matérielle.
Stephen Wright : « Un barrage au temps de la fin »
Le barrage est la figure par excellence de l’institution — de toute institution —, c’est-à-dire de l’institué comme tel. Seul le barrage permet de réunir et d’entreposer suffisamment de ressources et d’énergie pour avancer ; mais c’est ce même barrage qui entrave l’avancée même qu’il promet et qu’il est censé assurer. N’y a-t-il pas, au sein de tout agir, une sorte de dialectique du barrage : il faut de l’institué pour pouvoir agir, mais comme l’institué entrave et retarde l’agir, il faut un moment destituant pour re-fluidifier le flux et l’imprévisible. Lors de cette intervention, nous reviendrons sur le barrage comme métaphore concrète de l’institué, notamment dans la pensée de Saint Paul, architecte du plus redoutable et plus durable barrage jamais institué.